FormaBoom
20.10.2019
L’école est finie
Rencontre avec Quentin Guillaume, co-fondateur avec Bérangère Perron de FormaBoom, un studio de design graphique basé à Marseille, qui revendique une approche singulière pour chacun de ses projets. À l’occasion de cet entretien, nous échangeons sur la période qui marque le début de l’activité professionnelle après un cursus en école d’art.
Thomas Amico
Peux-tu me parler de ton parcours ?
Quentin Guillaume
À la fin du collège, après la troisième, j’ai cherché un CAP de graphisme. À l’époque je faisais du graffiti et j’avais des potes plus vieux qui faisaient déjà du graphisme, des pochettes de disques, pour des groupes de rap locaux, des flyers… Après mon CAP j’ai donc fait un Bac Pro dessinateur en communication graphique.
Ensuite, j’ai passé mon DNAT design graphique à l’ERBA Valence [ancien ÉSAD Valence, ndr] puis je suis allé en section vidéo aux Arts Décoratifs de Paris. Parce qu’après trois ans à Valence c’était important de continuer en Master. Mais en sortant de l’école, avec Bérangère, on a pris une grosse claque : on s’était éloignés du monde professionnel après le CAP et le Bac Pro pour être dans le monde du « designer graphique chercheur ». On s’est retrouvés confrontés à la difficulté de « comment gagner de l’argent ? »
À ce moment-là, je voulais être assistant d’artiste, j’ai donc envoyé des mails à des artistes que j’aimais bien, Claude Lévêque, Nicolas Moulin, Alain Declercq, etc. J’ai fait des petits boulots, quelques missions en agence de communication. Une agence m’a proposé de travailler pour 1 200 € par mois en CDI ou en free-lance pour 3 000 € par mois, j’ai directement accepté de travailler en free-lance. J’ai travaillé avec eux trois ans. Puis on s’est dit, Bérangère et moi, qu’on allait monter un studio ensemble, c’est à ce moment-là qu’on a créé FormaBoom. On a gagné un concours pour l’identité visuelle du musée des Beaux-Arts de Lyon. Ça nous a fait un petit book, on a réussi à trouver d’autres commandes, etc. Nous sommes ensuite partis de Paris pour nous installer à Marseille, on a fait un co-working, ce qui nous a permis de rencontrer d’autres gens et créer un réseau.
Logo du studio FormaBoom.
T.A.
Travailler en couple, le conseilles-tu ?
Q.G. Être à deux, c’est super important parce qu’en faisant du graphisme tu t’épuises rapidement, il faut pouvoir partager les projets avec quelqu’un pour reprendre de l’énergie. Même pour la relation client c’est important, à deux on est plus solides, les gens vous écoutent plus. Et puis un garçon et une fille ça marche bien, il ne faut pas oublier que c’est d’abord du rapport humain tout ça. Les gens ne te font pas bosser parce que tu es bon ; tu es bon, c’est normal, sinon tu n’es même pas là. Ils te font bosser parce que tu es sympa, tu as un bon contact, tu réponds au téléphone, fait des rendez-vous cools, tu trouves des solutions, etc. C’est pour ça qu’il y a plein de gens qui n’ont pas de talent mais qui bossent bien, c’est parce qu’ils ont un super sens des relations… inversement, il y a des gens très forts qui ne bossent pas. Donc à deux on est plus forts. Moi j’ai un relationnel qui est bon mais je suis assez sanguin. Bérangère est plus pondéré que moi, on s’équilibre.
T.A.
Comment trouve-t-on des clients lorsqu’on se lance ?
Q.G.
Quand j’étais aux Arts Déco, je rentrais dans les magasins du quartier, je demandais aux gens s’ils n’avaient pas besoin de cartes de visites, d’une affiche, etc. Ce qui est bien dans le graphisme c’est que tu peux arriver partout, il y a toujours du taf. C’est ça qui est sympa dans ce métier, c’est léger, tu as un ordi, tu le déplaces, c’est simple. Tu n’as pas de gros investissement à faire en comparaison à d’autres métiers.
Habillage graphique d’une tour au Centre scientifique et technique du bâtiment, 2011.
T.A.
Pas trop dure la réalité de la vie professionnelle en sortant d’école d’art ?
Q.G.
Non, pas plus que kiné. Il y a de plus en plus de boulot dans ce métier, ça n’arrête pas. Quand j’ai commencé le graphisme les gens ne connaissaient même pas le mot. Aujourd’hui tout le monde a des notions de typographie parce que tout le monde utilise des logiciels où l’on propose un Helvetica, un Courrier ou autre chose. Tout le monde est sensible à ça, donc on pourrait croire qu’il y a moins besoin de graphistes, mais en fait pas du tout, parce qu’il y a des gens qui ont besoin qu’on leur explique, il y a plein de demandes. En ce moment on bosse pour Jean-Paul Gaultier, on fait de la pâte à modeler ; les marques communiquent, elles ont besoin de visuels tout le temps, donc c’est possible de travailler. Le risque, c’est de se perdre, de ne plus savoir qui tu es. Ne plus avoir de travail personnel, c’est ça le piège. Si tu ne fais que des choix financiers, tu arrives à faire des projets un peu pourris que tu ne peux plus montrer, tu n’as plus de production personnelle parce que tu es rincé et tu en viens à ne plus savoir quoi faire. C’est pour ça qu’il y en a pleins qui lâchent l’affaire.
Ce qui est dur c’est de mener de front une vie professionnelle qui peut ramener assez d’argent pour se débrouiller et de continuer un boulot perso. C’est ça qui va t’apporter des choses, sinon tu t’épuises et un jour tu n’es plus frais, tu n’as plus rien à proposer, il y a des jeunes qui arrivent donc on ne te fait plus bosser.
T.A.
Est-il possible de faire du « design d’auteur » pour une commande plutôt corporate ?
Q.G.
Pour moi, c’est cinquante-cinquante. 50 % le client, 50 % le graphiste. Si le client ne l’accepte pas, ça ne marchera pas. Parfois tu tombes sur des clients cools : en ce moment je fais une identité graphique pour une boîte qui fait de la prédiction et de l’analyse de flux sur Internet, on a réussi à faire un bon projet parce que les gens sont intelligents, ils acceptent l’échange. Puis à d’autres moments ça foire. Parce que la personne n’a pas les mêmes références graphique et elle veut un papillon bleu. La cliente c’est la cliente, à un moment donné si elle veut son papillon, soit tu lui dis d’aller se faire voir, soit tu dis « oui, bien sûr Madame, je vais faire le papillon, je vous envoie la facture, c’est 1 500 €. » Tout ça s’apprend, c’est un jeu.
Communication de la Plateforme de la création architecturale, 2014.
Signalétique de la Plateforme de la création architecturale, 2014.
Pulvérisation des murs de la Plateforme de la création architecturale, 2014.
T.A.
Est-ce possible de travailler avec des clients à distance, sans forcément les rencontrer ?
Q.G. Ça m’est arrivé, mais c’est difficile. Il faut se voir, c’est important pour faire passer les projets. On a des règles : on n’envoie jamais une création par mail, en tout cas pas au début, on essaie de faire un rendez-vous et de bien le préparer. Il ne faut pas que ça dure trop longtemps, parce qu’il y a des pics d’attention qui font que pendant une demi-heure les gens t’écoutent, après beaucoup moins, ensuite ils vont commencer à déconstruire ton projet. Il faut savoir stopper la réunion quand tout le monde est content.
T.A.
Est-ce une bonne idée de travailler chez soi ?
Q.G. Alors ça en revanche, je te le déconseille.
T.A.
Mais au début, on n’a pas forcément les moyens de se payer un logement et un studio.
Q.G. Cela dépend des endroits où tu habites, à Valence il y a moyen de trouver des lieux facilement. J’avais un ami qui faisait la communication du théâtre et le théâtre lui passait des locaux. C’est pas mal de fonctionner comme ça. Du coup, il était très libre dans sa création graphique. Parce qu’il bossait dans ce mode d’échange il n’y avait pas d’argent, donc plus de liberté.
T.A.
Comment trouves-tu tes clients ? Ce sont plutôt eux qui t’appellent ? Tu participes à des appels d’offres ?
Q.G.
Non, on nous appelle. Au tout début on a répondu à un ou deux appels d’offres, mais je n’y croyais pas. Si tu ne connais pas quelqu’un tu ne gagneras pas. On a répondu à un appel d’offre pour le musée des Beaux-Arts de Lyon parce qu’une personne est venue nous voir deux mois avant en nous disant qu’elle aimerait qu’on y participe. Regarde par exemple ABM Studio, qui se bat pour que les appels d’offres publics soient rémunérés… Il ne faut jamais accepter de travailler sans être rémunéré parce que tu mets les autres graphistes en difficulté. Il faut que les graphistes soient solidaires. Et puis si tu travailles et que tu n’es pas rémunéré, on ne te considère pas.
Catalogue de l’exposition Le grand mezzé au Mucem, 2020.
T.A.
Participer à des appels d’offres ça te permet quand même de construire un portfolio solide avec des projets plus ou moins réels.
Q.G. Après, tous les moyens sont bons… Il faut y aller au culot, il faut être un bulldozer, tu t’en fous. Il faut croire en toi, c’est vraiment le seul truc. Crois en ta came, « T’en veux pas ? C’est pas grave, lui là-bas il va en vouloir ». Il y a toujours quelqu’un qui va vouloir de ce que tu fais.
T.A.
Pour clôturer, quelle est la recette pour trouver le bon nom de studio ?
Q.G. [rires] Choisis un nom qui n’existe pas déjà quand tu le tapes dans Google, et qui se comprenne dans plusieurs langues. Mais tu peux t’appeler Spliff Studio, si tu bosses super bien, tout le monde voudra bosser avec toi.
Une seconde interview de Quentin Guillaume à propos des relations entre les pratiques du graffiti et celles du design graphique est lisible ici.